Fonction diastolique et précharge



Le remplissage, ou l’art de savoir quand s’arrêter

🎯 Objectif

Apprendre à évaluer rapidement la fonction diastolique du ventricule gauche (VG) et la précharge du cœur à l’échographie, afin d’adapter le traitement du choc ou de l’insuffisance cardiaque.
En urgence, il ne s’agit pas de faire de la cardiologie fine, mais de répondre à une seule question :

“Le cœur est-il capable d’accepter davantage de volume ?”


⚙️ Esprit clinique

La fonction diastolique correspond à la capacité du cœur à se remplir.
Un VG rigide, hypertendu ou déjà surchargé n’a plus de réserve.
Un VG souple et sous-rempli, au contraire, appelle le remplissage.

Trop de remplissage tue le débit. Trop peu entretient le choc.
L’échographie permet de trouver la zone juste.


🧰 Technique

Utiliser la sonde cardiaque, préréglage Cardiaque.
Fenêtres principales :

  • Apicale quatre cavités → flux mitral et mouvements de l’anneau mitral.
  • Sous-costale (si patient instable) → estimation visuelle du remplissage.

Profondeur centrée sur le VG et la valve mitrale.
Désactiver les filtres automatiques de Doppler si utilisés.


🫧 Lecture visuelle immédiate

Avant toute mesure, une observation simple :

  • VG petit, hyperkinétique, cavité vide → sous-remplissage probable.
  • VG dilaté, parois épaisses, valve mitrale peu mobile → surcharge ou rigidité.
  • Oreillette gauche distendue → pression diastolique élevée chronique.

Ces indices visuels suffisent souvent à estimer la tolérance au remplissage.


📈 Évaluation fonctionnelle (E, A, E’, E/E’)

Si la fenêtre est bonne et le patient stable, le Doppler peut préciser l’analyse :

  • Flux mitral (onde E/A) :
    • Onde E = remplissage précoce (passif).
    • Onde A = contraction auriculaire (active).
    • E > A = remplissage normal ou hyperdébit.
    • E < A = trouble du relâchement (précharge faible ou rigidité).
  • Tissulaire (E’) :
    • Mesuré au niveau de l’anneau mitral latéral.
    • E/E’ estime la pression de remplissage gauche.
    • Si E/E’ < 8, le cœur tolérera du volume.
    • Si E/E’ > 14, le remplissage risque d’aggraver la congestion.

💡 En contexte de choc, ces mesures sont surtout utiles pour éliminer une fausse hypovolémie chez un patient déjà congestif.


🔄 Mesures dynamiques de précharge-dépendance

Les approches statiques (VCI, E/E’) sont limitées.
La tendance actuelle en médecine d’urgence est d’utiliser des indices dynamiques, fondés sur les variations respiratoires ou le flux d’éjection.

Les plus utiles :

  • Variation du VTI (Velocity Time Integral) au niveau du flux aortique :
    • Si le VTI augmente de plus de 10–15 % après une manœuvre de remplissage passif (élévation des jambes à 45°), le patient est précharge-dépendant.
    • Si le VTI reste stable, inutile de remplir davantage.
  • Variation respiratoire du flux aortique ou de la VCI :
    • Pertinente chez les patients ventilés, moins chez les spontanés.

💡 Le VTI est devenu la mesure de référence moderne pour estimer la réponse au remplissage — remplaçant la VCI, jugée trop approximative.


🧠 Intégration physiologique

Situation 1 : VG sous-rempli, hyperkinétique
→ Choc hypovolémique ou distributif précoce.
→ Remplissage prudent, puis réévaluation du VTI.

Situation 2 : VG dilaté, parois épaisses, flux E/A inversé
→ Cœur rigide, remplissage contre-productif.
→ Soutien inotrope, vasopresseurs, éviter le volume.

Situation 3 : E/E’ élevé + dilatation droite associée
→ Congestion cardiaque globale.
→ Déplétion douce, assistance ventilatoire, voire diurétique.

Situation 4 : E faible, E’ faible, VTI bas mais non variable
→ Cœur épuisé : pas de réserve contractile, remplir ne sert à rien.


⚠️ Pièges courants

  • Interpréter un VG vide sans corréler au contexte (hypovolémie vs obstruction).
  • Croire qu’une VCI dilatée exclut l’hypovolémie (ce n’est plus un critère fiable).
  • Oublier l’impact de la ventilation mécanique sur les flux.
  • Ne pas répéter la mesure après manœuvre passive : c’est l’évolution qui compte.
  • Trop focaliser sur les chiffres : l’œil et la tendance priment toujours sur la valeur unique.

🩺 Conclusion

L’évaluation diastolique en urgence, c’est l’équilibre entre remplir et ne pas noyer.
L’échographie permet de voir ce que la pression veineuse ne dit pas :
si le cœur a encore de la place pour recevoir.

Le vrai talent, ce n’est pas de mesurer : c’est de juger quand le cœur a atteint sa limite.

Les indices modernes comme le VTI remplacent peu à peu la simple observation de la VCI, offrant une lecture dynamique et physiologique de la réponse au remplissage.